
Il y a un très grand nombre de personnes handicapées vivant en établissements en France. Environ 100 000 enfants et 200 000 adultes handicapés résident dans des institutions de toutes sortes. Ces institution, ont en commun le fait de séparer et d’isoler les personnes de la communauté, violant leur droit de choisir et maîtriser leur mode de vie et d’accompagnement, tout en limitant considérablement leurs décisions au quotidien. Les lieux de vie à plein temps, si nombreux dans les années 70, semblent avoir quasiment disparu de la surface de la Terre, hormis en Angleterre où subsistent notamment les 23 lieux de vie mis en place par l’Association d’Inspiration Théosophique CampHill). En France on mentionnera : ceux de l’Association « J’interviendrais », du Coral dans les années 70, ou celui de CampHill, Le Beal-Drôme. Il existe par ailleurs notamment dans l’Allier encore quelques villages de fous, comme Ainay-le-Château, issus des colonies agricoles mises en place après la loi Pinel de 1838.
L’accueil Thérapeutique familial
Situé dans l’Allier en bordure de la célèbre forêt de Tronçais, le village médiéval accueille depuis la fin du 19éme siècle des bredins, le nom local donné aux personnes qui n’ont plus toute leur tête. C’est une expérience unique en France et qui fait penser par de nombreux aspects à l’expérience psychiatrique italienne (revue Usbek et Rica décembre 2017), l’aspect militant et insertion citoyenne en moins. La seule expérience similaire a lieu à Fort-de-France en Martinique et concerne environ une centaine d’handicapés. Les 4 ou 5 autres CHS qui le pratiquent (Saint-Anne, Le Vinatier, Limoges, Saint Jean de Dieu) ne le font qu’à une toute petite échelle, avec moins de 10 familles d’accueil thérapeutique. A Ainay-le-Château les résidents sont accueillis dans tous les villages dans un rayon de 20 kilomètres à la ronde. Ils y passent leur journée, quand ils ne sont pas en consultation à l’hôpital et on les croise à chaque coin de rue. Les familles d’accueil sont rémunérées 150 Euros par jour (contre 250 € pour une journée d’hôpital) et ont toute une tradition d’accueil intergénérationnelle. Cette tradition explique d’ailleurs que se soit installée pas loin de là une des 2 communautés thérapeutiques CampHill de France (il en existe une vingtaine en Angleterre), lieu de vie pour handicapés psychiques influencés par la pensée de Steiner.
L’hôpital dans le village
Un petit Hôpital Psychiatrique se trouve au centre du village, pouvant accueillir une centaine de patients, pour moitié du village, pour l’autre moitié venu en évaluation dans l’attente d’un accueil familial. Dans le département voisin du Cher se trouve un village similaire où l’accueil des fous a pris fin récemment, le village se ré-orientant vers la gérontologie. L’expérience de Dun-sur-Auron avait même précédé de quelques années celle d’Ainay-le-Chateau, commençant en tant que colonie agricole avant qu’une loi en 1900 vienne en formaliser l’existence. Dun à l’origine n’accueillait que des femmes, tandis qu’Ainay était réservé aux hommes. Depuis les années 60 la mixité est devenue totale. De même la population a beaucoup évolué. S’il s’agissait à l’origine principalement de retardés mentaux, aujourd’hui il s’agit principalement de schizophrènes “sédimentés dans leur psychose”. La vision des lieux est assez médicale et pour le psychologue que nous avons interviewé, les schizophrènes apparaissent comme assez peu autonomes. Bien qu’il soit à moins de 150 kilomètres de distance de La Borde, le personnel d’Ainay-Le-Château semble à peu près tout ignorer de la psycho-thérapie institutionnelle, vivant assez replié sur lui-même et étant débordé par l’accueil de sa propre population. Un GEM se trouve à moins de 15 kilomètres de là dans la ville de Saint-Amand-Montrond et un autre à Montluçon. Mais aucune relation n’existe entre le GEM et le village, sans doute à cause de la prédominance de la vision médicale. Le Président du GEM de Saint-Amand, ex-ingénieur tombé dans la schizophrénie à 40 ans, est pourtant un ancien résident d’Ainay-le-Château, qui lorsqu’il s’est senti suffisamment rétabli est parti vivre en ville.
Leur truc c’est plutôt la réhabilitation psycho-sociale et la remédiation cognitive qui a été introduite à partir de 2011 par François Petitjean, un ex psychiatre de Saint-Anne qui a exercé à Ainay-le-Château jusqu’en 2017, avant de partir rejoindre le CHS d’Étampes en Île-de-France. L’ergothérapie y joue aussi un très grand rôle depuis longtemps, la plupart des résidents participant à des ateliers de confection et de développement artistique. Mais ce n’est que depuis un an qu’a été recrutée une véritable ergothérapeute. Un système de ramassage par bus sillonne les villages pour amener chaque participant à son atelier.
Un modèle en perte de vitesse ?
C’est clair qu’Ainay-le-Château apparaît comme une solution autrement plus idéale que l’accueil en institution qui se traduit trop souvent par un enfermement de facto. Pourtant pas grand chose n’est fait pour développer ce type de vie de village. Il y a même une régression de l’accueil familial depuis les années 80 : A l’époque et depuis les années 50, il y avait 1200 accueillis à Ainay-le-Château, il y en avait encore 540 en 2010, il n’y en a plus que 350 aujourd’hui. Pendant longtemps Ainay-le-Château a servi à mettre au vert les psychiatrisés de Paris, aujourd’hui la politique a changé et un effort est fait pour qu’ils habitent près de leurs familles et chez eux, quitte à ce que ce soit de l’habitat protégé.
Il n’y a pas eu de visite d’ Ainay-le-Château par un ministre de la santé depuis 2010 (visite de Xavier Bertrand). Les normes sanitaires et sociales de plus en plus strictes rendent ce type d’expérience de plus en plus dure à mettre en place, puisque dans les établissements médicaux les patients sont de plus en plus éloignés du monde réel (ils ne peuvent même plus cuisiner ensemble, puisque ce n’est pas aux normes d’hygiène). C’est ce qui fait la force des structures médico-sociales qui peuvent, elles, employer des handicapés et encore plus des GEM et autres systèmes associatifs qui peuvent aller au delà du système et se permettre beaucoup plus de souplesse.
Pour aller plus loin :
- Présentation d’Ainay le Château sur Neptune Psychiatrie 2014
- Ainay le Chateau, un village où les fous se soignent en famille 2009 La Croix
- Présentation de l’expérience italienne dans la revue Usbek et Rica de décembre 2017
- Pouvons-nous parler d’un modèle italien de communauté thérapeutique ? – Réflexions après 35 ans de réforme psychiatrique Colloque de Bruxelles 2014
- le centre Victor Houali (Cameroun) Exemple d’hôpital psychiatrique intégré au village
Ici, il n’y a ni mur ni enceinte pour séparer villageois et malades. Les patients sont libres d’aller et venir. Cette méthode de soin a été apportée dans les années 80 par deux psychiatres français Philippe Bichon et Frédérique Drogoul, tous deux travaillant à la clinique de La Borde.
En Côte d’Ivoire, le centre Victor Houali traite des malades mentaux venus de tout le pays. Il est situé dans le petit village de Trinlé-Diapleu, qui compte un millier habitants. Ici, il n’y a ni mur ni enceinte pour séparer villageois et malades. Les patients sont libres d’aller et venir. Cette méthode de soin a été apportée dans les années 80 par deux psychiatres français Philippe Bichon et Frédérique Drogoul, tous deux travaillant à la clinique de La Borde. Les cas sont parfois très graves, avec des épisodes psychotiques aigus ou des formes de schizophrénie sévère. Mais le travail d’accompagnement de cet hôpital psychiatrique, unique au monde, donne de très bons résultats. Nils Tavernier 2020
- Un village pour aliénés tranquilles livre de Juliette Rigondet sur l’expérience voisine de Dun sur Auron 2019
- Famidac, l’Association nationale des accueillants familiaux et de leurs partenaires
- Le village du rétablissement de Tombolo Tombolo en Martinique
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