La lettre ouverte à la Présidente de l’Unafam
Courriel recu de Xavier Mersch Référent des GEM Unafam
Les accusations graves portées dans cette lettre contre des bénévoles de l’UNAFAM et les raisons de leur vote doivent être resituées dans leur contexte, semble t-il assez marqué par un désir de vengeance.
Avec mon souvenir cordial
Xavier Mersch
Référent de l’Unafam pour les GEM
Raisons de l’approbation de la révocation du Dr Bellahsen par les membres de la CdU de Moisselles en septembre 2021
« Le contexte décrit ci-dessous explique nettement les raisons graves qui ont conduit les Représentants des Usagers à approuver la décision de révocation soumise à leur approbation :
Les faits reprochés
Maltraitance des personnels soignants que le Dr Bellahsen voulait obliger à partager un “projet” de pôle non concerté… D’où plaintes d’une partie des personnels auprès de la Direction, puis longue enquête du CHSCT (Comité d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail). Celui-ci a conclu à l’unanimité contre le médecin. Les médecins de la CME ont reconnu qu’ils ne pouvait plus le soutenir car il refusait tout dialogue pour s’expliquer. La cause était la maltraitance des personnels, unique cause grave de la révocation, car elle désorganisait la prise en charge de nos proches malades.
La révocation
Lorsque le rapport du CHSCT a été communiqué en CdU, les quatre Représentants des Usagers ont eu la même position : les agissement reprochés auraient entrainé immédiatement un licenciement dans toute entreprise.
Le dossier a été transmis le lendemain au Conseil de surveillance, où le représentant de l’ARS a soutenu la position prise.
Le médecin a essayé de nous discréditer en faisant des amalgames historiques avec une “vengeance” à son égard pour une descente de la Commission Générale des Lieux de Privations des Libertés qu’il avait provoquée au tout début du COVID ; il avait déploré une organisation pourtant concertée avec tous les chefs de pôle, organisation qui avait mis en place un isolement de tout nouvel arrivant en attendant le résultat des tests Covid, organisation dont il n’avait pas été nommé responsable… Or cet isolement n’était pas un isolement psychiatrique, mais une mesure de précaution devant l’inconnue que constituait la situation Covid, situation toute nouvelle.
Les suites
Avec la Directrice, la Présidente de l’UNAFAM a décidé de ne pas réagir à la lettre ouverte et d’éviter de lui donner ainsi une tribune.
Malheureusement, il y a eu au début plusieurs démissions ayant pour cause le désaccord avec ce chef de pôle. Puis des essais de recrutements pour lesquels les candidats disaient ‘’OK mais pas à Asnières’’, et après la révocation au début de l’été, démission de plusieurs pro-chef de pôle. La partie hospitalisation du pôle a dû être fermée… Les effectifs soignants restants ont été répartis sur les autres pôles qui ont accueilli les patients du secteur. Un nouveau chez de pôle est arrivé en septembre et le pôle s’est reconstitué peu à peu. »
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Cher Monsieur,
Etant moi-même soignant depuis une dizaine d’années sur le pôle de psychiatrie adulte d’Asnières, je me permets de réagir à vos propos car je trouve bien regrettable la légèreté avec laquelle vous traitez les évènements qui se sont produits à l’’hôpital Roger Prevot et comment votre réponse laisse de côté la question des droits des patients.
Vous proposez de justifier les « Raisons de l’approbation de la révocation du Dr Bellahsen par les membres de la CdU de Moisselles en septembre 2021 » et selon vous, « Le contexte décrit ci-dessous explique nettement les raisons graves qui ont conduit les Représentants des Usagers à approuver la décision de révocation soumise à leur approbation ».
I/ Instrumentalisation des conflits d’équipe par la Direction :
Permettez-moi donc de rappeler simplement un certain nombre de faits :
La décision ayant été annoncée en juillet, il me semble que la CDU à laquelle vous faites référence doit être la « CDU exceptionnelle » du 27 juin. Lors de cette CDU, une note de synthèse produite par la Direction et présenté successivement dans différentes instances en juin 2021 (directoire et conseil de surveillance) ont conduits à la destitution du Dr Bellahsen de ses fonction de médecin chef de pôle. C’est sur cette note de synthèse que les membres de ces instances ont statué. Ce document se fondent principalement sur deux sources :
1) Une enquête administrative à charge et partiale qui n’a auditionné qu’une partie de l’équipe et qui a sélectionné parmi les témoignages recueillis les propos à retenir et ceux à laisser de côté. En effet, une partie seulement de l’équipe a été auditionnée. Les autres agents qui en ont fait la demande à plusieurs occasions depuis janvier 2021, se sont heurtées au silence de la Direction. Ensuite, parmi les agents auditionnés, certains se sont étonnés de voir leurs propos tantôt déformés, tantôt passés sous silence lorsqu’ils décrivaient des conflits qui n’étaient pas entre l’équipe et le chef de pôle mais au sein de l’équipe.
Un courrier du 24 juin 2021 du pôle a de ce fait été adressé à M. Y. Révillon, Maire de Bois-Colombes et Président du Conseil de Surveillance pour lui demander d’intervenir auprès de la Direction pour qu’elle cesse d’instrumentaliser des conflits d’équipe en vue de régler ses comptes avec le Dr. Bellahsen. Ce courrier avait été signé par 24 soignants du pôle.
Je rappelle que l’enquête administrative ouverte par la direction de l’hôpital l’a été suite à un courrier anonyme en mai 2020 de certains soignants du pôle en désaccord avec le projet de pôle et le reste de l’équipe. Le projet de pôle était bien identifié ; il y a une dizaine d’années, le précèdent chef de pôle, T. Najman, alors avait commencé à impulser cette orientation. Il avait notamment ouvert les portes de l’unité d’hospitalisation. Au fil des ans, plusieurs soignants toute catégorie professionnelle confondue, ont rejoint l’équipe du pôle d’Asnières précisément pour cette orientation claire et forte d’un travail reconnu dans le paysage psychiatrique français.
Ce projet de pôle, qui a fait l’objet de concertations répétées et fut débattu lors de nombreuses réunions et séminaires de formation du service, a été l’objet d’attaques de certains membres de l’équipe qui ont montré leur opposition à ce projet de pôle sans toutefois jamais exprimer clairement leur opposition dans les espaces de travail dédiés.
Puisque vos fonctions vous intéressent à la question des GEM, vous serez heureux d’apprendre que le premier point reproché à l’orientation du projet de pôle par ces membres de l’équipe était le soutien actif que le chef de pôle et une partie de l’équipe pensaient important d’apporter à la création d’un GEM. (Venaient ensuite le reproche d’avoir embauché un éducateur spécialisé sur un poste d’infirmier et le fait qu’un psychologue puisse être référent d’un patient dans l’hôpital de jour.) Ces mêmes soignants qui s’opposaient à ce que le pôle soutienne du mieux possible le processus de création du GEM traitaient leurs collègues en réunion de « mères de psychotiques ». Ce genre de propos révoltant et proprement inadmissibles dans une équipe de soin a motivé le Dr Bellahsen à réaffirmer le projet de pôle qui irait dans le sens des patients. Ces mêmes collègues au fil des ans s’étaient opposés à la création de plusieurs dispositifs en faveur des patients (association paritaire du journal membre du Conseil Local de Santé Mental de la ville, dispositif de la Radio, séminaire sur la ville ouvert à tou(te)s, etc…). C’est ce genre de prise de position du chef de pôle, en faveur de ces dispositifs et contre les attitudes réactionnaires de certains, qui a été qualifié de « projet de pôle non concerté ».
Depuis, le GEM d’Asnières a heureusement vu le jour et cela constitue une avancée considérable de plus pour notre pôle et les patients qui y sont soignés. Par exemple, alors que l’unité d’hospitalisation était fermée pendant l’été après que la Direction de l’hôpital a pulvérisé notre service, les activités vivantes du GEM ont permis a de nombreux patients de tenir et de veiller les uns sur les autres pendant ces temps difficiles.
Tout cela devrait vous inviter à la plus grande prudence quand il s’agit d’expliquer que la décision de suspendre de ses fonctions le chef de pôle est la conséquence de la « Maltraitance des personnels soignants que le Dr Bellahsen voulait obliger à partager un “projet” de pôle non concerté ».
2) La deuxième source de la note de synthèse qui a conduit à voter la destitution du chef de pôle a été un courrier rédigé en février 2021 par quatre soignants psychologues du secteur. Ce courrier comporte de nombreux éléments inexacts, déformés, et mensongers et reprochait au D. Bellahsen un certain nombre de choses tout à fait fantaisite. (Nous tenons à votre disposition le courrier détaillé de réponse que nous avons adressé à ces collègues et dans lequel nous nous étonnons de leur conduite). Nous avions également écrit en juillet dernier à la Direction avec copie au président de la CDU pour faire part de notre colère à constater une fois encore que « que des interprétations fantaisistes de certains collègues aient pu être reprises directement par la direction et considérées comme des faits » alors même qu’une grande partie de l’équipe qui souhaitait être entendu se voyait encore et toujours refusé cette possibilité. Inquiets des pratiques clivantes de ces collègues et de la façon tout aussi clivante qu’avait la Direction d’instrumentaliser des conflits d’équipe, nous avions demandé en juillet la mise en place d’une médiation. Il nous semblait en effet impossible de travailler en confiance avec des collègues capable de mentir pour régler leurs comptes en présentant une vision du travail déformée à ce point.
Cette demande de médiation pour remédier aux clivages produits par l’instrumentalisation des conflits d’équipe par la Direction a été votée en octobre en CHSCT. Après plusieurs relances, les arrêts maladies et les démissions de plusieurs soignants la Direction a fini par répondre favorablement. En prenant soin d’ajouter que c’étati sousouhait et qu’elle en avait eu l’idée dès le mois de janvier ! A ma connaissance, toujours rien n’a été mis en place par la Direction à ce jour. Cependant, les six psychiatres que comptaient notre pôle en juillet ont depuis tous quitté leurs fonctions, ainsi que plusieurs autres agents qui, contrairement à ce que votre billet prétend, ne soutenaient pas tous l’orientation de travail du pôle. La Direction préfère donc mettre quelques agents responsables de l’encadrement à la porte et laisser moisir la situation pour que les autres s’en aillent. Pendant ce temps, les patients sont abandonnés.
II/ Concernant les droits des patients:
Pour finir, outre le fait que vous reprenez donc tout à fait à votre compte les justifications des actions de la Direction de l’établissement, vous ne me semblez pas répondre aux questions de fond autrement plus intéressante.
Au contraire, l’utilisation que vous faites du terme de « descente » pour qualifier la visite et le travail de contrôle des libertés faite par le CGLPL est particulièrement dérangeante.
Ce qui s’est passé dans notre hôpital n’est pas un médecin qui déplorait « une organisation pourtant concerté avec tous les chefs de pôle, organisation qui avait mis en place un isolement de tout nouvel arrivant en attendant le résultat des tests covid ». Ce qui s’est passé dans notre hôpital n’était pas simplement « une mesure de précaution devant l’inconnue que constituait la situation Covid, situation toute nouvelle » Ce qui s’est passé pendant la nuit du 7 au 8 mai 2020 dans notre hôpital a été l’enfermement de 30 personnes dans leur chambre contre leur volonté et sans aucun avis médical motivant cette décision, par un cadre administratif, au mépris de tout cadre légal. A cela, il faut ajouter l’enfermement, sur les autres secteurs, ainsi que sur les unités d’entrants et de Covids de dix-huit patients. Derrière ce que vous qualifiez de manière très déplacée de « descente » de la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté, il y a ni plus ni moins qu’une recommandation en urgence. Sur les six années pendant lesquelles Adeline Hazan a assuré ces fonctions, elle n’aura émis que 5 recommandations en urgence concernant des établissements de soin. Celles-ci, prévues par la loi du 30 octobre 2007 sont justifiées si le CGLPL « constate une violation grave des droits fondamentaux d’une personne privée de liberté ». Je vous invite donc à relire le rapport de visite de la CGLPL sur son site pour avoir connaissance de ce qui se passait dans note hôpital si vous ne l’avez pas déjà fait : https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2020/06/joe_20200619_0150_0094.pdf
Ces évènements avaient conduit une collègue à témoigner de façon anonyme sur un blog et son témoignage a ensuite été rendu public, désanonymisé par un journaliste. La réaction de nombre de soignants a alors rajouté à l’horreur : en effet, beaucoup de soignants ont été choqué non pas de la situation grave mais de sa dénonciation. Estimant que l’évènement malheureux a non pas été le non-respect de la loi et l’enfermement des personnes mais de rendre public cet abus. Depuis, cet évènement est régulièrement passé sous silence dans l’hôpital et il n’a donné lieu à aucune enquête administrative pour en comprendre les raisons. On retrouve ici la marque des institutions malades qui fonctionnent dans un entre-soi pervers : regretter la dénonciation de l’abus et non l’abus lui-même. Ce qui s’est passé dans notre hôpital a eu lieu dans nombre d’endroit en France pendant le premier confinement, cela a été rappelé par la nouvelle CGLPL dans son rapport du 13 janvier qui cite d’ailleurs notre hôpital en « exemple ». Au-delà des conflits d’équipe et de leur instrumentalisation « Poutinesque » par une Direction qui nettoie un service qui la dérange, il me semble que ce sont là des questions de fond plus générales qui méritent tout notre intérêt quel que soit notre statut dans l’hôpital : soignant, administratif, patient, proche,… Quel usage faisons-nous, chacun depuis sa place, chacun comptable de ses agissements, des instances de nos institutions ? Peut-on réellement soigner sans prendre en compte les droits des personnes ?
Cela nous amène, pour conclure à la question de la représentation des usagers. Puisque vous donnez des explication sur un vote de représentants de l’Unafam dans une Commission des Usagers : « Lorsque le rapport du CHSCT a été communiqué en DdU, les quatre Représentants des Usagers ont eu la même position » Je souhaite donc vous poser simplement la question suivante : est-ce qu’il y a des usagers parmi les représentants des usagers dans la Commission des Usagers de l’hôpital Roger Prévot ?
Pendant l’été, une vingtaine de patients du service ont également écrit à la Direction pour faire part de leur incompréhension face à cette décision de suspendre le chef de pôle de ses fonctions. Depuis plusieurs années, ils avaient pu apprécier son dévouement à les soigner, la qualité de son travail et bénéficier du projet de pôle qu’il a grandement aidé à développer avec son équipe. Et là, il faut bien dire que ça leur a fait un drôle d’effet aux « usagers », de devoir s’adresser à une Commission des Usagers dans laquelle ils savaient très bien qu’aucun « usagers » ne siégeait et à laquelle l’accès leur avait été refusé quelques années auparavant lorsque ils en avaient fait la demande, au motif que les deux sièges dédiés aux usagers étaient déjà occupés… par des membres de l’Unafam !
Il semble que cela soit le cas dans de nombreux établissements psychiatriques en France : dans les commissions des usagers dans lesquelles deux sièges sont réservés aux familles et deux sièges aux patients, l’intégralité des sièges est occupée par des représentants des familles. Cela est bien regrettable quant au bon fonctionnement de nos institutions. Car, enfin, si une Commission des Usagers n’est pas en mesure de permettre aux dits usagers de faire entendre leur voix pour défendre les soins qui leur ont été utiles, et dont ils ont pu faire l’expérience de l’efficacité et des effets positifs sur leur quotidien, à quoi sert une commission des usagers ?
Je trouverai intéressant que l’Unafam se penche sur ses questions : comment en tant que représentant des familles de patients, participer à ce que ceux-ci puissent faire, au mieux, valoir leurs droits dans les instances qui sont censées servir à cela ? Nous sommes, chacun depuis notre place, comptables du sain fonctionnement de nos institutions. Cela ne peut, à mon sens, pas se faire si l’on délaisse ces questions et que l’on préfère reprendre, pour y coller, le discours de la direction de l’hôpital, ses éléments de langage et toute sa campagne de com pour tenter de justifier l’injustifiable. Nous avons besoin d’une réelle participation de chacun à la régulation de nos lieux qui sans cela n’auront de cesse de justifier les abus qui s’y passent dans la complicité silencieuse de chacun.
Me tenant à votre disposition dans le cas où vous souhaiteriez poursuivre ailleurs et sous une autre forme cette discussion, je vous adresse mes sincères salutations,
Benjamin Royer
Auteur
FOR YOUR EYES ONLY
À Asnières-sur-Seine, un service de psychiatrie détruit pour avoir défendu les droits des patients
En juillet 2021, le psychiatre Mathieu Bellahsen a été démis de ses fonctions de chef de pôle au terme d’une enquête administrative. En mai 2020, il s’opposait à l’enfermement systématique de patients justifié par le confinement. La direction nie toutes représailles. Pourtant, de nombreux membres de son équipe dénoncent une enquête à charge.
Caroline Coq-Chodorge
28 septembre 2021 à 08h20
Les assises de la santé mentale et de la psychiatrie se tiennent jusque mardi soir. Il y est beaucoup question de la santé mentale de la population et de pratiques innovantes. Ce qui mine la psychiatrie n’est pas discuté, mais s’est imposé dans la grande consultation rendue publique en introduction des assises, lundi. 10 000 professionnels de la psychiatrie s’y sont exprimés pour faire part d’un profond mal-être : 57 % attendent une valorisation de leurs métiers, 54 % des moyens humains ou financiers, 54 % un renforcement des moyens existants.
« Le gouvernement veut surfer sur la crise du Covid pour parler de la santé mentale de la population. Mais ces assises évoquent très peu le vécu réel de la psychiatrie, celle qui prend en charge les malades psychiatriques, et qui va très mal », estime la psychiatre Delphine Glachant, présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie. À l’hôpital psychiatrique, 30 % des postes de médecin sont vacants.
À l’hôpital Roger-Prévot de Moisselles, dans le Val d’Oise, dans ce contexte de sous-effectif croissant, de conditions de travail toujours plus dégradées, s’est nouée une profonde crise autour des droits des patients, défendus par les uns, perdus de vue par les autres. La direction de l’hôpital a violemment tranché.
© Christophe ARCHAMBAULT / AFP
Tout un pôle de l’hôpital, celui du secteur d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), est démantelé. Le chef du pôle, le docteur Mathieu Bellahsen, a été démis de ses fonctions le 7 juillet dernier. Il est depuis en arrêt maladie, comme la plupart des médecins. La cadre supérieure de santé a été mutée. L’unité d’hospitalisation a été fermée faute de personnel. Et les autres services du pôle sont dans une situation très précaire.
Le psychiatre Mathieu Bellahsen, auteur d’un blog sur Mediapart, est une voix forte de la psychiatrie. Il alerte depuis des années sur la déliquescence de ce service public. Il est très engagé dans le « Printemps de la psychiatrie », qui s’est constitué pour unir les mobilisations dans les hôpitaux psychiatriques, en 2018 et 2019, au Havre, à Rouen, ou à Amiens.
Engagé dans des procédures en justice contre son établissement, il ne souhaite pas s’exprimer. Mais sept membres de son équipe ont accepté de raconter cette crise : médecins, psychologues, psychomotriciens ou cadres de santé. Tous veulent préserver leur anonymat, certains ayant déjà été sanctionnés par la direction, d’autres craignant de nouvelles représailles dans un climat d’extrême tension.
Tous ancrent leur pratique dans la psychothérapie institutionnelle, un courant de la psychiatrie dont les bases ont été posées après la Seconde Guerre mondiale. Nourrie par la psychanalyse, la psychothérapie institutionnelle cherche à humaniser l’institution psychiatrique, en en faisant un lieu de soins co-construits entre soignants et soignés. Les droits des patients irriguent cette démarche.
On travaille à l’émancipation des patients, à partir de ce qu’ils racontent. On a créé une radio, un journal, on travaille avec le monde associatif.
Un psychologue du service
« On travaille à l’émancipation des patients, à partir de ce qu’ils racontent, explique un psychologue du service. On a créé une radio, un journal, on travaille avec le monde associatif, dans la cité. Notre travail est reconnu, nous avons reçu des prix. »
« La psychothérapie institutionnelle, c’est ce que font tous les soignants quand ils ne veulent pas être claquemurés dans une gestion bureaucratique et autoritaire », explique André Bitton, ex-usager de la psychiatrie et président du Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA), qui a officiellement apporté son soutien au pôle d’Asnières.
Ce courant psychiatrique est malmené aujourd’hui, de la même manière que la psychanalyse, en particulier par « le monde universitaire, qui accompagne les restructurations en réorientant les services vers des pratiques plus comportementalistes, ou neurobiologiques, axées sur les médicaments, détaille la psychiatre Delphine Glachant. L’objectif est de réhabiliter le patient, de le faire rentrer dans la norme ». Le délégué interministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, le professeur de psychiatrie Frank Bellivier, est un représentant de ce courant.
Mathieu Bellahsen paie son engagement en faveur d’une psychiatrie humaniste.
Pascal Dias, syndicaliste Sud
« Les neurosciences veulent renvoyer le plus de monde vers le libéral et fermer des lits d’hospitalisation, s’alarme Pascal Dias, de la commission psychiatrie du syndicat Sud. C’est pour cette raison qu’on trouve autant de malades psychiatriques à la rue, en prison, contentionnés dans les services d’urgence. Mathieu Bellahsen paie son engagement en faveur d’une psychiatrie humaniste, qui dénonce l’augmentation du recours à l’isolement et la contention par manque d’effectifs. »
La crise au sein de l’hôpital de Moisselles a débuté pendant le premier confinement, quand plusieurs services de l’hôpital ont choisi d’enfermer systématiquement les patients psychiatriques à leur admission, pendant 72 heures, et même jusqu’à 14 jours dans un service de l’hôpital. Mathieu Bellahsen a rapidement mis en garde l’hôpital sur la confusion entre le confinement et l’isolement psychiatrique, qui doit être justifié médicalement.
Il était possible de faire autrement, son service le démontrait. La plupart des patients comprenaient la nécessité de l’auto-confinement et restaient librement dans leur chambre. Pour aider les malades hospitalisés à traverser cette épreuve, les soignants ont tenté de répondre à leurs besoins essentiels, leur apportant les journaux, leur prêtant des radios. Eux aussi voulaient « savoir ce que racontait Macron », rapporte une soignante.
En cas de non-respect du confinement, les patients en hospitalisation libre étaient invités à rentrer chez eux. Ceux hospitalisés sous contraintes pouvaient être isolés, dans une chambre dédiée, sur prescription médicale. Le service respectait ainsi la loi.
Seulement, le 8 mai 2020, Mathieu Bellahsen a été informé que tous les patients de son service étaient enfermés à clé dans leur chambre, les verrous des portes renversés de l’intérieur vers l’extérieur. Il a alors alerté le Contrôleur général des lieux de privation des libertés (CGLPL), alors Adeline Hazan. Celle-ci a diligenté une visite le 18 mai. Ses recommandations en urgence, rendues publiques, sont très sévères pour l’hôpital.
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« Des patients ont été enfermés 24 heures sur 24 sans que leur état clinique le justifie, sans décision médicale écrite émanant d’un psychiatre ni traçabilité et, au surplus, dans des espaces dangereux et non aménagés à cet effet », a constaté le CGLPL. « Les praticiens l’ont décidé en lui donnant un caractère systématique, prétendant que les patients psychiatriques ne seraient pas à même de comprendre et de respecter les gestes barrières. » Le CGLPL insiste sur « les conditions indignes » de l’isolement : les contrôleurs ont constaté que les chambres manquaient de lumière, d’air, n’étaient dotées ni de radio ni d’horloge. Certaines n’avaient pas de bouton d’appel et dans d’autres, il ne fonctionnait pas toujours. Les patients étaient habillés en pyjama jetable, sans accès à une douche, avec juste un lavabo et un nécessaire de toilette.
Une patiente isolée a été gravement blessée après avoir sauté du 2e étage, par la fenêtre de sa chambre qu’elle a brisée.
Cet isolement illégal a fait des victimes : le CGLPL rapporte qu’une patiente a été « gravement blessée et admise aux urgences » après avoir sauté du 2e étage, par la fenêtre de sa chambre qu’elle a brisée. Plusieurs soignants du pôle d’Asnières rapportent qu’une de leur patiente a été durablement traumatisée par cet enfermement. « Je peux en témoigner : après un isolement, c’est difficile d’avoir à nouveau confiance dans le soin », explique André Bitton.
Officiellement, la crise du pôle d’Asnières part d’une lettre adressée à la direction le 14 mai 2020, 6 jours après l’alerte au CGLPL, point de départ d’une enquête administrative de plusieurs mois. Elle est signée par « l’équipe infirmière de l’extra-hospitalier ». Elle pose « la question de harcèlement, d’abus de pouvoir et de maltraitance » de la part du chef du pôle. Elle reproche des « décisions unilatéralement prises » comme la création d’un groupe d’entraide mutuelle, l’embauche d’un éducateur spécialisé à la place d’un infirmier, ou encore le fait qu’une psychomotricienne se substitue à un infirmier dans les visites à domicile.
La création d’un groupe d’entraide mutuelle (GEM), une association d’usagers de la psychiatrie, est le premier grief de ces paramédicaux, qui n’ont pas signé leur courrier. L’ex-usager de la psychiatrie André Bitton commente, ironique : « Un GEM, c’est un contre-pouvoir exercé par les usagers, qui gagnent ainsi en autonomie. Je comprends que cela rende certains soignants fumasses… »
Les sept membres de l’équipe que nous avons interrogés décrivent tous un conflit à l’intérieur de l’équipe entre ceux qui adhérent à la psychothérapie institutionnelle, et d’autres qui rejettent ce cadre de travail. Le conflit, ancien, préexistait à l’arrivée de Mathieu Bellahsen à la chefferie du pôle.
« Au départ, je ne pensais pas que la direction puisse prendre tout ça au sérieux. On savait qu’il y avait une enquête, mais on n’avait aucune nouvelle. Puis on a su qu’une partie de l’équipe seulement, celle qui désavoue nos pratiques, était entendue. Nous sommes quinze à avoir demandé à être auditionnés, mais la directrice a refusé, au prétexte que l’enquête perdrait en objectivité », explique un psychologue.
Les conclusions de l’enquête administrative sont floues. Est reproché à Mathieu Bellahsen un « discours » tenu début 2020, par lequel il a tenté de recadrer son équipe. Pour la direction, ce discours a « été vécu comme violent, au point que certains étaient en pleurs ». Mais, là encore, ce vécu est loin d’être partagé : « Je l’ai trouvé très ferme, mais il fallait de la fermeté, certaines personnes ne cessaient de dénigrer le travail collectif. » « Il a employé des mots assez durs, mais je pense qu’il fallait nommer les choses. »
La violence, ils l’ont vue dans la conduite de l’enquête administrative. Une personne auditionnée raconte « un moment insupportable. Deux personnes que je ne connaissais pas ont voulu me faire avouer une faute professionnelle que je n’avais pas commise, en l’occurrence d’avoir fait des visites à domicile pendant le premier confinement, pour prendre des nouvelles des patients, parler de leur quotidien. J’aurais outrepassé mes compétences. Mais les personnes que j’avais en face de moi n’avaient aucune idée de mes compétences ! J’ai craqué, pleuré plusieurs fois pendant l’entretien. J’ai apporté mon soutien au chef de pôle, à la cadre supérieure du service, mais ce n’est même pas mentionné dans le rapport. L’hôpital a choisi de ne retenir qu’un seul discours ».
Est également reproché au pôle le nombre de fugues de patients, plus important que dans d’autres services. Seulement, l’unité d’hospitalisation était la seule de l’hôpital à maintenir ses portes ouvertes de 8 heures à 19 heures : les patients étaient libres de sortir dans le parc, sans demander l’autorisation pour passer la porte.
Les portes ouvertes sont un vieux sujet dans la psychiatrie : c’est un équilibre à trouver entre le respect des droits des patients et les risques qu’on prend.
Un médecin du service
« Les portes ouvertes sont un vieux sujet dans la psychiatrie : c’est un équilibre à trouver entre le respect des droits des patients et les risques qu’on prend », explique un médecin. Les membres de l’équipe ont du mal à s’expliquer sur les chiffres : « On peut leur faire dire ce qu’on veut, il faudrait pouvoir les discuter. Mais avec cette direction, on n’a jamais pu discuter. » Pour un autre encore, ce reproche prouve que « ce qui est visé, c’est le sens qu’on donne à notre travail : on s’est battus pour ouvrir les portes, pour que les patients circulent librement ».
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Sont encore reprochés à Mathieu Bellahsen « des discours très politisés ». Là encore, les autres membres de l’équipe tombent des nues : « Je ne comprends pas : c’est normal d’avoir une analyse politique de la place de nos patients dans la société. Les réunions n’étaient en aucun cas une tribune politique », dit l’un. « C’est pour cette analyse politique que j’ai rejoint ce pôle, dit un autre. Cela fait partie de l’héritage de la psychothérapie institutionnelle. »
En juin, quinze membres de l’équipe signent un nouveau courrier à la directrice, Luce Legendre, en mettant durement en cause ses méthodes : « Nous ne pouvons pas tolérer que notre travail de soignant fasse ainsi l’objet d’accusations diffamantes d’une telle gravité. » Ils dénoncent une « instrumentalisation des conflits d’équipe par la direction au profit d’un sordide règlement de comptes avec l’encadrement de notre pôle suite à la venue du CGLPL ».
Pour la directrice de l’hôpital, ces nombreux courriers, pourtant signés par environ une moitié du pôle d’Asnières, ne constituent pas un « motif légitime à remettre en cause l’alerte » initiale, celle des infirmiers anonymes.
Sanctionner une personne qui saisit le Contrôleur général des lieux de privation des libertés est un délit d’entrave passible de 15 000 euros d’amende.
« Il n’existe aucun lien entre le signalement effectué par le docteur Bellahsen auprès du Contrôleur général des lieux de privation des libertés (CGLPL) et l’ouverture de l’enquête administrative au sein du pôle », se défend encore la directrice en réponse à nos questions. Elle insiste d’ailleurs : « Le signalement au CGLPL est un droit réglementé, dont l’exercice n’a jamais été remis en question à Roger-Prévot. » La précision est importante : sanctionner une personne qui saisit le CGLP est un délit d’entrave passible de 15 000 euros d’amende.
Mais personne ne semble dupe : « Je suis intimement persuadée que tout ce qui se passe est lié à cette affaire d’enfermement illégal. Dans la chronologie, les représailles sont évidentes. À l’intérieur de l’établissement, on ne cesse de nous reprocher la venue du CGLPL. Le docteur Bellahsen aurait été déloyal, il aurait mis en cause publiquement l’établissement, tous les agents. Je me suis aussi rendu compte que notre pratique, qui repose plus sur la relation humaine que sur les médicaments, est soupçonnée de mettre en danger les soignants et les patients dans un contexte de sous-effectif. C’est une énigme pour moi, car je suis convaincue de l’efficacité de notre travail. Ce serait plus sécurisant d’attacher les patients ? Il y a là deux visions de la psychiatrie qui s’affrontent. »
La présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie, Delphine Glachant, a elle aussi eu « des échos de l’hôpital de Moisselles : des personnes ont mal pris les recommandations du CGLPL. Ils ont un sentiment de honte, d’indignité. Pourtant, ces recommandations sont admirables, elles rappellent des choses fondamentales ».
Dans cet hôpital psychiatrique, les usagers sont uniquement représentés par des familles, ce que Mathieu Bellahsen a tenté de faire évoluer en encourageant des patients à se présenter à la Commission des usagers de l’hôpital. L’actuel président de cette commission, Michel Girard, père d’un patient, juge les recommandations du CGLPL « excessives. À l’admission, les patients enlevaient leurs vêtements et étaient enfermés le temps du résultat du test. L’établissement a appliqué un principe de réalité pendant une période difficile ».
La seule unité d’hospitalisation dont les portes étaient maintenues ouvertes est désormais totalement fermée, faute de soignants. Pour plusieurs membres de l’équipe, « si elle rouvre, les portes seront fermées, et des lits seront supprimés, officiellement à cause du chef de pôle qui fait partir tout le monde. La direction sait utiliser les évènements pour avancer dans la restructuration ». L’hôpital de Moisselles est en effet engagé dans une fusion avec l’hôpital de Nanterre, des suppressions de lits sont programmées.
Dans le pôle, les départs se multiplient, d’autres se préparent. « Cette enquête a été menée au nom de supposées souffrances au travail. Or, je n’ai jamais vu une telle souffrance depuis cette enquête. C’est un traumatisme d’avoir vu s’effondrer, en deux mois, toute une pratique pour laquelle on se bat, un service qu’on a tenu à bout de bras malgré les difficultés. » « On est pris dans un dilemme : soit rester pour les patients, soit partir pour protéger sa propre santé. » « Je suis dégoutée par l’hôpital public. Pourtant, jusqu’au moins de juin, je n’imaginais pas le quitter. »
Plusieurs patients inquiets ont eux aussi pris la plume dans une lettre adressée à la directrice le 18 août : « Nous estimons qu’en destituant le docteur Mathieu Bellahsen, les options actuelles de certaines bureaucraties hospitalières portent atteinte au bien-être des patients. »
Caroline Coq-Chodorge
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Tu penses quoi de cette réponse
Je suis assez étonnée voir choquée par le contenu de ce courrier
Rien ne peut justifier l’enferment abusif de patients déjà en grande souffrance psychique.
L’isolement des patients de tout un service (ce qui a été le cas a Asnières ) non seulement était illégal mais très traumatique. Et l’UNAFAM ne peut en aucun cas soutenir voir justifier de telles dérives.
De plus utiliser le terme descente pour parler de la visite de la CGLPL est sidérant
De plus vos propos concernant le chef de pôle lanceur d’alerte sont calomnieux (quid de la souffrance et la maltraitance subit par ceux qui sont partis à cause de l’administration et son acharnement sur le service et le ne chef de pôle quia entraîné un départ en masse de soignants )
Pour la complète information des lecteurs :
https://www.mediapart.fr/journal/france/280921/asnieres-sur-seine-un-service-de-psychiatrie-detruit-pour-avoir-defendu-les-droits-des-patients