Affiliation (Laboratoire, Université) : Cresppa GTM / UMR72 Université Paris 8
Titre de la thèse : Les Groupes d’Entraide Mutuelle
Directeur et/ou directrice de thèse : Jean François Lae
Titre de la communication : Une utopie ; les GEM ?
Les GEM, des utopies à tous les niveaux mais des limites bien réelles
Pour bien resituer les choses avec les GEM nous sommes dans le paradigme de l’’abbaye de Thélème, la première utopie de la littérature française. Gargantua, l’État en l’occurence offre à frère Jean des Entommeurs la gestion de celle-ci. Celui-ci au début proteste :” comment pourroy je gouverner aultruy, qui moymesmes gouverner ne sçaurois ? ». il accepte à condition qu’elle corresponde à son bon vouloir et tout marcha merveilleusement bien. J’ai beaucoup résumé, mais c’est un peu ça, parce que Garguanta est un gentil ogre alors que l’État, n’est pas qu’un gentil ogre. D’où le fait que les GEM ne marchent pas entièrement sur des roulettes et que l’on leur soupçonne à plus ou moins juste titre des intentions cachées.
A la base de l’idée des GEM il y a une idée très généreuse, celle de redonner leur pouvoir d’agir à des personnes qui en ont été dépossédé parfois depuis plus de 10 ou 20 ans. L’utopie d’un GEM c’est que des personnes considérée comme incapables de se prendre en charge, de gérer leur budget (la plupart des gémeurs sont sous curatelle), puissent être capables, aider par un animateur à plein temps, de s’organiser collectivement pour faire tourner leur GEM.Alors c’est loin de marcher à tous les coups et très souvent la charge de gestion du GEM repose entièrement sur les épaules de l’animateur. Mais même dans ce cas il va tout faire pour que les membres du CA du GEM prennent en main le maximum.
Les GEM sont des lieux utopiques en cela qu’ils essayent de ré-inventer une société idéale à l’écart du chaos ambiant et d’une société trop dur pour un certain type de public. Laissés à l’écart dans le monde “normal” dans cet univers bienveillant ces personnes dites handicapés psychiques retrouvent leurs repères et goût dans la vie. Ce ne sont pas des utopies totales comme l’ont été les lieux de vie et d’accueil qui ont proliféré dans les années 70, dans la mesure où ils ne sont ouverts que 35 heures par semaine. Beaucoup des communautés utopiques comme Guise ou Arcs et Senans ont été fondé comme des habitats de travailleurs. Dans le cas des GEM nous sommes dans une situation radicalement différentes puisque seule une infime partie des gémeurs travaillent. L’utopie du GEM c’est de pouvoir les occuper à plein temps avec un budget “activité” proche de 50 centimes par jour et par gémeurs. Et pourtant cela marche grâce aux bénévoles, aux multiples talents des animateurs et aux adhérents eux -mêmes.
Dés le départ les GEM ont été inspirés par les utopies communautaires issues des années 70. La principale rédactrice du premier Cahier des Charges de 2005 n’est autres d’ailleurs que Martine Barrés, qui a codirigé pendant 20 ans le Bureau de la Psychiatrie créé en 1981. Si on relit le Cahier des Charges on s’aperçoit que tout a été pensé pour faire vivre l’utopie démocratique. De nombreux gardes fous ont ainsi été mis en place pour éviter que les dominants habituels continuent d”exercer trop de pouvoir : Seuls les adhérents ont le droit de vote, les bénévoles (souvent des parents) auraient sinon tôt fait de reprendre le pouvoir. L’animateur lui même est considéré comme simple salarié de l’association du GEM.
La nouvelle Utopie de la Santé mentale
Des salines royales d’Arc & Senans au familistère de Guise, en passant par Longo Maï puis les TAZ d’Hakim Bey, j’ai toujours cherché l’Utopie et, pour dire vrai, l’ai un peu trouvée lorsque j’ai découvert les GEM. Je me suis dit qu’il y avait un sujet d’autant plus intéressant qu’il s’agit d’un sujet profondément paradoxal, un sujet un peu méprisé, méconnu… celui de pauvres gens que la société a exclus quand ils ne se sont pas exclus tous seuls.
Les GEM sont sans conteste l’évolution structurelle la plus notable de la psychiatrie des quarante dernières années. Jamais on n’avait vu autant de personnes prises en charge et un tel déploiement de structures. On pourrait presque parler d’une véritable révolution copernicienne de la psychiatrie qui donne définitivement le pouvoir à ses usagers et ex-usagers de reprendre le contrôle de leur vie. Ce nouvel objet est hors de l’institution médicale. Celui-ci pourrait aider à nous faire passer de la psychiatrie dictature que nous connaissons trop souvent aujourd’hui à une forme plus démocratique où chacun des acteurs ait la liberté de prendre son destin en main.
J’y ai souvent trouvé une joie et une douceur de vivre à plusieurs que l’on ne voit plus très souvent ailleurs, de l’art de cohabiter, de vivre ensemble harmonieusement, de se reconstruire doucement, de s’apporter les uns les autres. Soigner la société, prendre soin de soi Si au premier abord on peut trouver certains GEM un peu moroses et pas franchement accueillants, en assistant à leurs réunions hebdomadaires, en y vivant au jour le jour et en participant aux repas collectifs quotidiens, on s’aperçoit qu’il y a aussi de véritables dynamiques qui se mettent en place.
De fait, les adhérents des GEM, d’isolés dans leur coin qu’ils étaient jusqu’à leur rencontre avec le GEM, mènent souvent une vie plus riche et diversifiée qu’une bonne majorité des français (ils sortent plusieurs fois par semaine, ont des loisirs variés, se retrouvent tous les jours entre amis…). Les GEM, ont ainsi permis, au cours de ces 15 dernières années à quelques dizaines de milliers de personnes de sortir de leur isolement et d’ainsi revivre. J’y ai donc vu toute la richesse qui pouvait advenir de ces lieux, que ces lieux qui étaient là pour prendre soin des gens, pouvaient également soigner la société.
Certes une pauvre richesse (on ne transforme pas à ce point le plomb en or), mais une richesse quand même, celle qui permet aujourd’hui à 25 000 personnes, socialement mortes et exclues depuis parfois plus de dix ans, de vivre de nouveau une vie riche et de participer de nouveau à la vie sociale. C’est un long et parfois très long cheminement pour des personnes qui ont toute leur vie été obligées de vivre au rythme d’une institution totalitaire où jamais on ne leur a demandé ce qu’elles voulaient : le manque d’implication est un reproche récurrent des animateurs et présidents de GEM envers leurs adhérents. Il y a quand même des GEM plus militants que d’autres, même s’il représentent moins de 10 % des GEM. Les GEM du 93 participent ainsi aux Semaines de la Folie Ordinaire. Les GEM d’Advocacy sont aussi assez combatifs pour le respect des droits qui est à la base de la création de cette association.
Les GEM pour aider la société tout entière
In fine, l’idée maîtresse de notre travail sera que les GEM aident non simplement les personnes en situation de handicap psychique mais aident la société tout entière à se renouveler dans un sens plus inclusif et solidaire.
Le GEM, de lieu d’accueil pour âmes en détresse où l’on se contente, il est vrai souvent, de jouer aux cartes (mais n’est-ce pas justement le principe d’un GEM d’y faire ce que l’on veut) peut aussi devenir lieu de vie et d’auto-organisation où se recréent de nouvelles communautés humaines et formes d’organisation de la vie sociale, utiles pour tout le monde (création du potager du GEM qui permet une certaine autosuffisance alimentaire, actions humanitaires, animation de la vie locale – participation aux Réseaux d’Échange de Savoir, RES, et autres SEL- Systèmes d’Échanges Locaux).
Bibliographie :
Stefan Jaffrin La tribu des GEM 2022Edition Eres Collection Trames
Michel Lallement, Un désir d’égalité. Vivre et travailler dans des communautés utopiques Seuil 2019
Les communautés intentionnelles Thése de Maxime Cordellier 2018
Jean-Luc Minart Lieux de vie et d’accueil Réhabiliter l’utopie Edition Eres Collection Trames 2013
Lieux de versus GEM (Entraide-Mutuelle)
Aurélien Troisoeufs Le passage en actes : Du malade mental à la personne liminaire : Anthropologie des associations d’usagers de la psychiatrie Thèse sous la direction d’Anne Lovell Paris 5 Novembre 2012
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