Anticipations, promesses et pratiques politiques
École thématique interdisciplinaire de recherche
Autrans-en-Vercors, 11-15 avril 2022
En vue de former de jeunes chercheurs et chercheuses – doctorat et post-doctorat –aux enjeux liés à la multiplication des utopies et dystopies venant nourrir le travail politique dans le champ de la santé et de discuter la façon dont la recherche en sciences sociales aborde ces objets, l’EHESS organise dans le cadre de son Programme de recherches interdisciplinaires « Santé » une école thématique à Autrans-en-Vercors du 11 au 15 avril 2022.
Plaidoyer pour un renouveau de la santé publique et des interventions non pharmaceutiques, alerte sur la multiplication des zoonoses et leurs liens à la destruction des écosystèmes, promesses de l’e-santéou à l’inverse dénonciations des effets iatrogènes cachés/à venir des vaccins et des collusions entre experts et industrie, inquiétude sur un possible effondrement du système hospitalier, remise en cause de la couverture santé, etc. La crise de la Covid-19 a participé à charger la santé, comme domaine social, d’une dimension normative renouvelée qui vient brouiller le primat des rationalités techniques et économiques. Plus généralement, la question des futurs et de leur gouvernement, c’est-à-dire de la façon dont nous les envisageons collectivement, via des scénarios, des anticipations et des promesses – qui se traduisent par des priorisations et des modèles, des pratiques politiques et des expérimentations « de transition ou de rupture » – est un enjeu majeur pour un temps marqué par l’accumulation des crises.
Alors que les définitions classiques s’accordent sur le caractère imaginaire, voire irréalisable, des utopies/dystopies, l’école proposera d’aborder les utopies/dystopies du point de vue des pratiques – celles qui les sous-tendent aussi bien que celles qu’elles promeuvent. Pour explorer ce que font les utopies/dystopies au champ de la santé, l’école thématique travaillera à partir de quatre balises :
– Le cœur de l’élaboration d’une utopie/dystopie réside dans le travail de confection d’une démarcation ou rupture entre l’état actuel et l’état futur des choses. Les fragments du réel qui seraient amenés à changer sont identifiés et mis à l’épreuve de l’altération, souvent radicale, voire de la suppression.
– Puisqu’il modifie l’état des choses en profondeur, le changement proposé s’enracine dans un temps long.
– Dans la continuité, les utopies/dystopies apparaissent toujours comme une proposition de changement d’envergure. A côté des innovations erratiques, des détériorations lentes ou des réformes localisées, les utopies et dystopies engagent une pluralité de domaines du social : l’univers politique, les retentissements sur l’économie (globale), sur la vie quotidienne des individus, etc.
– L’investissement symbolique ou de forme est un geste que l’on retrouve invariablement dans le travail utopique/dystopique. Qu’il fasse intervenir des images, et/ou une importante strate discursive, l’utopie/dystopie mobilise une esthétique spécifique qui fait partie intégrante de sa place sociale – en témoignent les très nombreuses œuvres littéraires et cinématographiques qui prennent pour objet la santé et mettent en scène des idéaux ou des horreurs non (encore) advenus.
L’utopie/dystopie ne constitue donc pas seulement un univers discursif, elle participe des transformations sociales et sanitaires. Pour éviter une trop grande polarisation sur la relation entre utopie et fiction et pour insister sur l’omniprésence et les dimensions concrètes des rapports au futur dans le champ de la santé, l’organisation scientifique de l’école privilégiera quatre hypothèses ou perspectives d’élaboration pour les contributions des doctorant.e.s qui se rapportent toutes au travail politique des utopies et dystopies :
a. L’existence d’un régime de temporalité propre au travail de l’utopie/dystopie moins centrée sur le présent pour lui-même que la présence du futur en son sein et dont une des caractéristiques fortes est de proposer une ambition de rupture, plus ou moins radicale, entre le passé/présent et le futur imaginé. En ce sens, l’évaluation normative du passé/présent (et l’identification des éléments devant être nécessairement transformés) fait du « réellement existant » l’indice des transformations souhaitées ou craintes.
b. Cette rupture est construite, travaillée par des activités politiques qui mêlent des discours et des imaginaires à des pratiques sociales, institutionnelles, techniques-scientifiques ou encore économiques qui participent de la concrétisation de l’utopie/dystopie. L’école thématique aura alors pour ambition collective d’identifier les outils et les savoirs de l’anticipation qui sous-tendent le travail de l’utopie/dystopie.
c. Ce que l’on pourrait appeler un gouvernement de la santé par l’utopie/dystopiepeut relever de registres assez différents, distincts par la nature des objets, des sources (acteurs) ou des solutions proposées. Un des enjeux de l’école sera d’explorer les articulations et les hierachisations entre utopies politiques, promesses technologiques en matière de santé, et leurs évolutions.
d. Qu’il s’agisse de l’ailleurs ou des espaces d’expérimentation, les lieux jouent un rôle aussi crucial dans la construction et les effets performatifs de l’utopie ou de la dystopie que la disjonction temporelle entre présent et futur.
Ce sont toutes ces dimensions que l’école thématique entend étudier en invitant des jeunes chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales à venir communiquer sur le travail des utopies et dystopies dans le champ de la santé. Sociologues, historiens, anthropologues, géographes, politistes, économistes, juristes, cet appel à communication concerne l’ensemble des sciences sociales. Les propositions pourront donc concerner des objets variés, tels que :
- les imaginaires et les futurs portés par les mouvements sociaux et politiques : hygiénisme et urbanisme social ; les lieux de soins alternatifs (centres de santé, dispensaires, sectorisation en psychiatrie) ; accès général aux soins, petite et « Grande Sécu » ; santé planétaire ; etc.
- les promesses technologiques : médicaments miracles ; biotechnologie ; numérique ; médecine personnalisée ; intelligence artificielle et robotisation des lieux de soins ; objets connectés ; optimisation des corps et transhumanisme ; etc.
- les promesses de vie saine et les pratiques de santé « alternatives » : retour à la nature, promesses alimentaires, culture de soi, médecines d’Asie, naturopathie, plantes médicinales.
- les savoirs et outils de l’anticipation : modèles, scénarios, rapports de prévision, calcul et big data, etc.
- les Suds comme lieux d’expérimentations ou d’alternatives : utopies (post)coloniales et éradication des maladies infectieuses ; promesses et théories du développement (Health for All in 2000) ; production locale de biens de santé, philanthrocapitalisme, etc.
L’École thématique interdisciplinaire de recherche se déroulera à Autrans-en-Vercors du 11 au 15 avril 2022. Au cours de cette semaine, les participant.es sélectionné.es présenteront leurs travaux, assisteront à quatre conférences invitées et participeront à un atelier de lecture et un atelier d’écriture fictionnelle. Elles et ils devront être présent lors des cinq jours. Les frais de transports, logement et nourriture seront pris en charge.
Les personnes intéressées doivent envoyer CV et proposition de communication de 5000 signes maximum à pri2022.ehess@gmail.com avant le 13 février 2022.
Comité d’organisation :
Alexandra Roux, Tonya Tartour, Boris Hauray, Sébastien Dalgalarondo, Jean-Paul Gaudillière.